Télérama mon désamour

Je n’aime pas Télérama. Ou plutôt, disons que les trois quarts du temps, cet hebdomadaire ne m’inspire qu’une indifférence sereine. Mais, une ou deux fois l’an me tombent sous les yeux des articles qui me rappellent à quel point Télérama est le Paris Match de l’exception culturelle à la française. Ou tout l’art de se jeter sur le premier phénomène de société qui passe mais pour en dégoiser le plus à rebrousse-poil possible, en saupoudrant le tout d’une arrogance nauséabonde et d’un mépris frôlant l’insulte de masse, tant la méchanceté gratuite transpire au détour de l’exercice favori de Télérama, à savoir la “critique”. Même lorsque une tentative – louable car rarissime – de jugement positif est rédigée, ça ne fait pas un pli, on y trouve systématiquement une paire de phrases assassines. Ca doit être viscéral chez eux, et probablement incurable.

Dans leur numéro 3007 du 29 août 2007, on trouve à la rubrique “Internet-Critique” (page 61) un article relatif au site www.fanfic-fr.net, site dédié à l’hébergement de fanfictions francophones.

Ma foi… ça partait plutôt bien pourtant. Un titre non agressif, et un classement “deux étoiles”. Après consultation dudit magazine, il ressort que cela représente un “pas mal” sur leur échelle d’appréciation. De quoi éveiller ma curiosité et presque d’endormir ma méfiance. “Presque” j’ai dit. Ma lecture démarre, et mon impression initialement positive se maintient à niveau : je n’apprends rien de transcendant, des évidences sont énoncées, mais le propos est distancié, tout en étant teinté d’un certain amusement bon enfant. Pas de quoi sortir l’artillerie lourde.

Jusqu’à la septième ligne avant la fin.

Fatale. Extrait :

“Pas sûr que des bijoux se cachent parmi ces milliers de textes mis en ligne.”

J’y ai cru jusqu’au bout, mais non, le jugement à l’emporte-pièce, et fort ironiquement contradictoire, est tombé. Une appréciation globale “pas mal”, assortie de cette phrase. On se demande de fait légitimement ce qui justifie le classement initial. Si la qualité du contenu de ce site est à ce point déficiente pour l’auteur de cet article, pourquoi l’avoir jugé “pas mal” ? L’honnêteté intellectuelle n’aurait elle pas justifié dans ce cas un minimum d’harmonisation ? Ah, mais peut être le terme « honnêteté » n’a-t-il rien à faire ici. Mais oui, suis-je bête.

Au-delà de ce délicieux paradoxe, le fond de la phrase elle-même laisse songeur. Le “pas sûr” ne dédouane pas à mon sens son auteur, ne serait-ce que par sa connotation négative. Non, il ne le dédouane pas de n’avoir passé que dix malheureuses minutes à explorer le site en question. Il ne le dédouane pas non plus de ne pas avoir réalisé les plus élémentaires des recherches sur le “phénomène”, ses tenants et ses aboutissants. En bref, de ne pas avoir fait son travail de journaliste.

Loin de moi l’intention de nier en bloc son propos. Il est évident que la masse des textes mis en ligne induit une qualité fluctuante en terme de forme et de fond, tant du fait de la multitude des auteurs que de l’immédiateté inhérente au support internet. Mais asséner de façon aussi péremptoire qu’il n’est pas envisageable que certains récits puissent sortir du lot est non seulement disproportionné mais aussi et surtout profondément injuste. Sous prétexte qu’il ne s’agit là “que” de fanfictions, et donc de la réutilisation d’univers existants, il faudrait donc qu’il n’y ait aucun auteur doté de talent ? Qu’aucun ne sache écrire ? Construire un scénario ? Faire passer une émotion ? Se fabriquer un style ?

A moins que cet avis tranché ne soit étayé que par la nature des supports utilisés, constitutifs de la fameuse sous-culture de masse dont l’hebdomadaire s’est érigé - pour ne pas dire "auto-proclamé" - en ardent pourfendeur. Séries télé, livres de science fiction ou pour enfants… mangas. Oups, j’ai dit un gros mot. Il paraît pourtant que Télérama s’est considérablement amendé sur la question, mais à inventer la veste sans couture, il faut dire qu’elle est tout de suite plus facile à retourner. Oui, c’était il y a presque vingt ans, mais je suis rancunière.

Le petit ton méprisant de cette simple phrase était de trop. Condescendant. Gratuit. Et m’a rappelé pourquoi je n’aimais pas Télérama.

[Note : je tiens à préciser que je n’ai pas d’accointances particulière avec fanfic-fr. J’y ai ouvert un compte il y a quelques mois, mais ne l’ai jamais utilisé, essentiellement pour des raisons techniques. Que cela soit dit.]